Chapitre II

À la vérité, Miny, unique fille de Fred le nain et de Mina, avait un caractère très indépendant. Ce n’était pas la première fois qu’elle sortait ainsi la nuit, en cachette de tous. D’ordinaire, ces petites excursions secrètes la menaient dans la forêt, où elle retrouvait de nombreux amis, dont la taille menue, assortie à la sienne, et les habitudes de vie furtive lui convenaient à merveille.

C’est ainsi qu’elle connaissait toute une famille de mulots, qu’on appelle aussi « souris des bois » (et qu’on ne doit pas confondre avec les campagnols, qui sont les « souris des champs »). Miny aimait beaucoup le roi des mulots, nommé Mur, dont les yeux vifs et proéminents reflétaient beaucoup de sagesse et une grande expérience des petites choses et des petits êtres. Dans ce monde minuscule, Miny était entourée et fêtée. On saluait chacune de ses venues par des danses, des farandoles et de grands repas chaleureux et joyeux ; pour cela, Mur allait chercher au fond d’immenses resserres souterraines les faines et les glands amassés en prodigieuse quantité. Mais ce que Miny préférait, c’étaient de succulentes noisettes parfumées et sucrées, dont elle raffolait.

 

Parfois Mur le mulot, averti par ses sens toujours en éveil, donnait l’alarme à sa nombreuse famille et poussait femmes, enfants et parents au fond des abris ; il avait perçu le vol bas, lourd et silencieux du père Ulu, qui surgissait toujours à l’improviste, jetant l’effroi parmi le petit peuple. Car pour les mulots, le hibou est un redoutable prédateur, et, durant toute son attaque, ils doivent rester terrés dans des trous, hors de portée des serres et du bec du vieil oiseau de nuit. Souvent, quand l’alerte se prolongeait, Mur le mulot entonnait d’une voix aiguë et plaintive le Chant des Souris des Bois, et cette mélopée aux accents traînants rendait Miny mélancolique, car elle imaginait la vie sans cesse menacée de ses humbles amis.

Une nuit, il arriva même que la petite fille dut sauver les mulots d’une soudaine attaque du vieux rapace. Mur avait averti trop tard les siens et Ulu était là, prêt à fondre sur ses victimes innocentes. C’est alors que Miny, qui avait compris en un instant le terrible danger, leva son poing minuscule vers le hibou, en criant :

— Va-t’en, Ulu ! Si tu touches à un seul de mes amis, il t’en coûtera cher !

Le ton de cette voix si fluette était extraordinaire de courage et de force. Certes le gros oiseau de proie aurait pu d’un seul coup de bec avaler la petite fille. Mais Miny était tellement décidée, elle affrontait si bravement l’ennemi et défendait avec tant de vaillance la grande famille des mulots, qu’Ulu battit en retraite ; il s’éleva dans un grand froissement de ses ailes déployées, sans dire un seul mot. Le vieux hibou avait rencontré là une volonté plus forte que la sienne.

La fille de Fred le nain rendait donc souvent visite à Mur le mulot et aux siens. Elle entreprit même d’apprendre à lire à ses petits amis, dont les yeux saillants brillaient d’intelligence. Il faut dire que Miny, qui aimait beaucoup la fée Lihi, sa bonne marraine, voulait toujours l’imiter et adorait jouer à l’école, en tenant le rôle de la maîtresse. Avec ses frères, c’était là son passe-temps préféré. Aussi disposa-t-elle Mur et toute sa famille dans une clairière, au pied d’un tilleul, comme on aligne les élèves d’une classe, puis elle se mit à tracer dans l’écorce tendre du tronc les lettres de l'alphabet.

 

Pour les lettres – voyelles et consonnes – tout alla bien. Mur, qui était le plus attentif, apprit sans peine tout l’alphabet. Mais, quand Miny voulut écrire des syllabes et des mots, rien n’y fit : ni son obstination, ni sa patience, ni même ses colères ne purent obtenir que les mulots fissent le moindre progrès.

— Enfin Mur ! disait souvent la petite fille au mulot tout contrit, tu as pourtant compris ce que je vous ai expliqué ! Si toi et les tiens, vous vous appliquez suffisamment, vous pourrez ensuite profiter de toutes les merveilles qu’on découvre dans les livres. Vous pourrez vous glisser sans peine dans la bibliothèque de ma marraine, la fée Lihi, et y lire de magnifiques ouvrages, pleins d’histoires et de récits fabuleux, où l’on voit comme le monde est vaste et intéressant !

Alors Mur baissait chaque fois un peu plus la tête et répondait :

— Tu es pour nous une amie fidèle et une maîtresse dévouée, Miny. Mais ta peine est inutile. Jamais nous ne saurons lire. Ce n’est pas mauvaise volonté de notre part. Mais nous autres, mulots, sommes trop différents de toi, et dans nos têtes la lecture ne peut pas entrer.

Et Mur le mulot fermait un instant ses bons gros yeux si vifs.

Longtemps Miny ne voulut rien entendre, déconcertée par cette résistance à laquelle elle ne s’attendait pas. À la fin, elle se fit silencieuse et pensive. Elle réfléchit, des semaines durant, sur les souris et les nains, trouvant inexplicable que les êtres fussent si divers et que le monde fût si loin d’être unanime, c'est-à-dire peuplé d’esprits semblables. Elle finit par se résigner à cette étrangeté et par admettre que les mulots ne sauraient jamais lire. Mais il lui en resta comme un peu d’étonnement triste. Elle en aima davantage encore ses amis les mulots, sans plus chercher à leur enseigner quoi que ce fût, ni à plus jamais rien écrire sur le tronc tendre des tilleuls.

 

Mais cette nuit-là, qui suivit l’arrivée de Maho, ce n’est pas chez Mur et les siens que s’en était allée la petite fille, tandis que dormaient paisiblement ses parents et ses frères dans la maisonnette, à la lisière de la grande forêt.

Une fée sans baguette
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